Gisele de Monfreid |
La fille de l'aventurier de la Mer Rouge Gisèle de Monfreid
Gisèle est la fille légitime 1 d’Henri 2 de Monfreid, né à La Franqui (Leucate/Aude) le 14 novembre 1879. Il a alors 34 ans, et d’après ses dires est négociant, c’est lui qui fait la déclaration de cette naissance. La mère est son épouse allemande Armgart Freudenfeld, fille du gouverneur allemand de l’Alsace-Lorraine, née à Metz le 27 mars 1887. Elle était venue à Paris prendre des cours de peinture et avait rencontré le peintre et graveur George Daniel de Monfreid (1856/1929) père d’Henri.
Le mariage civil a lieu le 10 août 1913 à la mairie de Corneilla-de-Conflent et la cérémonie religieux est célébrée le lendemain dans l’intimité, par le pasteur Camille Leenhardt, à Saint-Clément, dans la propriété de George Daniel 3. Le couple a eu trois enfants. Gisèle née en 1914, Amélie en 1922, Daniel en 1923.
Henri était le fils de la première épouse de son père, Amélie Bertrand. Il avait déjà navigué dans la Corne de l’Afrique quand il épouse Armgart. Il repart pour Djibouti quelques jours après son mariage et installe Armgart à Port-Vendres parce que la situation dans la Corne de l’Afrique lui paraissait instable. En 1914 quand la guerre éclate Armgart est soupçonnée d’intelligence avec l’ennemi. Le pasteur Leenhardt, en poste à Perpignan, qui avait baptisé sa fille et dont elle était proche, lui apporte son soutien.
L’enfance dans la Corne de l’Afrique En 1917, Henri fait venir Armgart et Gisèle âgée de trois ans auprès de lui. Sa connaissance des mouillages et des ports en fait une source de renseignements utile à la France pendant la Première Guerre mondiale. Il entame ensuite une vie de contrebandier, il vit de différents trafics, perles, armes, haschisch ... qu'il revend aux Égyptiens, ce qui lui vaut un premier séjour en en prison pour vente d’armes à la veille de Noël 1914. Il se base à Obock : sa maison est près du rivage, ce qui permet à sa femme de disposer des lumières sur la terrasse si la vedette des garde-côtes est à l'affut...
Obock est une petite localité au nord de Djibouti, de l’autre côté du golfe de Tadjoura. La jeune Gisèle vit très librement avec les enfants qui l’entourent, vêtue comme eux et se livrant aux mêmes jeux. Ils l’appellent « tête de paille » à cause de ses cheveux blonds. Avec ses petits amis elle apprend l’arabe parlé et les rudiments de la religion musulmane. Le rude apprentissage de son père passe par des raclées ; il veut l’élever comme un garçon. Pas toujours d'accord avec sa femme sur la méthode d'éducation de leur fille, Henri de Monfreid décide un jour d'embarquer Gisèle comme mousse à son bord pour lui enseigner la discipline et l’obéissance. Il la fait naviguer avec lui sur son boutre.
En 1923, George Daniel de Monfreid part avec Henri sur un bateau des Messageries Maritimes, afin de revoir toute la famille de son fils, Armgart et leurs enfants. Il visite Djibouti, Obock et Harrar en Abyssinie. Enthousiaste, il peint quelques-unes de ses plus belles toiles, comme La petite coloniale (1923), un portrait de sa petite-fille Gisèle.
Mais trouvant son éducation très limitée- elle parlait mieux l’arabe et l’abyssin que le français - il la ramène en France pour l’inscrire dans un pensionnat protestant de Nîmes – lui-même, jeune ayant été pensionnaire dans une pension protestante suisse à Genève. Le premier soir elle fait scandale en faisant ses dévotions à Allah. Il est vrai qu’Henri s’était converti à l’islam en 1914 avec comme nom d'Abd-el-Haï (esclave du vivant). Sa mère rentrant à Paris, l’année suivante elle s’installe à Neuilly- sur- Seine avec ses enfants. Gisèle passe son baccalauréat à Istanbul4 .
L’enthousiaste de la mer Paris-Midi consacre à Gisèle de Monfreid un long article qui souligne sa passion pour la mer. Elle est alors étudiante à l’Ecole des Langues Orientales de la rue de Lille. « C’est une grande jeune fille d’environ 16 ans, toujours vêtue à la mode sportive, pull-over, jupe plissé, chaussures à talons plats. Soit sur son pull, soit sur les vestes bleu marine à boutons dorés qu’elle affectionne elle porte le plus souvent de grandes ancres brodées. »
Á partir de 1931, la vie aventureuse de son père, centrée sur la Mer Rouge et l'Éthiopie l’entraine à devenir une gloire littéraire. Henry de Monfreid poussé par Joseph Kessel publie Les secrets de la Mer Rouge en 1931 et Aventures de mer en 1932. Elle est « la fille de l’aventurier français célèbre sur toute la Mer Rouge, dans les déserts somalis en Arabie et en Egypte. »
« Tant à Djibouti, Dire Daoua ou à Obok […] elle avait eu l’occasion d’apprendre à parler l’arabe. Mais il y a loin de l’arabe parlé à l’arabe littéral et elle apprend maintenant, rue de Lille, les règles complexes de la syntaxe et de l’écriture de la grande langue orientale. […] Pourtant Gisèle de Monfreid n’a pas l’intention de devenir une linguiste ou une commentatrice des textes arabes. Elle aussi aime par-dessus tout la mer. Pendant les vacances elle fait du yachting et sa grande ambition est de devenir officier5.» Elle annonce donc qu’elle veut devenir danoise, le Danemark étant alors le seul pays européen qui ouvre sa marine militaire aux femmes. Et quelques jours après, Paris Midi annonce qu’Armgart, Mme de Monfreid leur a écrit qu’elle voulait rester française et donc qu’elle renonce à son projet6.
Elle accompagne son père dans les soirées mondaines. Elle écrit : C'est à dix-huit ans, que j'ai été poussée à évoquer certaines anecdotes sur mon enfance en Mer Rouge, dans le salon parisien de la duchesse de Brissac. Cette occasion me fut donnée grâce à un incident technique survenu à la voiture de mon père. Á cette époque, en 1932, mon père avait une préférence pour la Ford. […] - Gisèle, change-toi vite pour m'accompagner ! J’aurai peut-être besoin de toi... Me voilà donc embarquée - sans invitation - et par chance, sans incident de parcours, entre Neuilly et l'avenue du Bois. La duchesse nous accueillit avec un sourire amusé. Je fus placée en bout de table et de là, pus entendre les grands ténors de la littérature se succéder.
Elle racontait ses histoires de la Mer Rouge et eut un franc succès si bien qu’un de ses admirateurs, François de Bondy, cousin de Charles de Foucault l’encouragea à écrire ses souvenirs. La photographe Dora Maar7 fit d'elle une très belle photo. Elle lisait Alain Gerbault, skipper et écrivain, Edouard Peisson qui fait partie des principaux écrivains de marine français de la première moitié du XXe siècle.
L’épouse C’est dans une soirée mondaine qu’elle fait la connaissance de son futur mari, en assistant à une réception chez l’amiral Pierre Latham, commandant de la « Jeanne » et de ses élèves officiers de marine pour la campagne de 1935/1936.
Elle se marie à Neuilly sur Seine le 20 juin 1936 avec Auguste Lionel François Latham 8 né au Havre, le 14 octobre 1910. Elle a pour témoin le muséologue Georges Henri Rivière 9. La cérémonie religieuse a lieu à l’église réformée de l’Étoile et la réception à l’hôtel George V. Son grand ami Alex Liberman10 , le célèbre photographe de mode fait un portait de Gisèle 11. Sa mère meurt en 1938.
Son mari, jeune officier de l’armée de l’air est affecté à la base de Pau, le couple s’y installe jusqu’à la déclaration de guerre. François Latham est alors transféré à Toulouse. Son épouse, enceinte, va accoucher à Béziers où vivait sa tante Agnès de Monfreid, fille de George Daniel et demi-sœur d’Henri, qui avait épousé Louis Huc, un riche marchand de vin. Son fils Marc naquit en 1940, son frère Éric en 1943.
L’aîné rapporte : En 1943, mes parents ou tout au moins, ma mère, mon frère et moi nous nous installâmes à Béziers, au domaine de Saint-Laurent, en face du camp du Gasquinoy. L’armée allemande y stationnait et défilait sur la route. Gisèle ne parla jamais de sa mère allemande. Á la Libération mon père démissionna de l’armée, il fit alors avec des fortunes diverses du commerce du vin et de l’agriculture. Ma mère resta ferme derrière lui. […] Elle fréquenta régulièrement le temple de Béziers où officiait le pasteur Besson. Elle avait espéré pour ses fils une carrière diplomatique à l’étranger. Ils ont fait des carrières commerciales et de la recherche agronomique outre-mer : Côte d’Ivoire, Nouvelle-Calédonie, Bangkok… La femme de lettres À Saint-Laurent, elle parlait à ses enfants de sa jeunesse à Obok et en Abyssinie. Henri de Monfreid venait régulièrement chez sa fille, sur le chemin de Marseille où il se fournissait en opium qu’il fumait comme un stimulant pour ses écrits et ses conférences et fournissait à ses amis, Joseph Kessel, Jean Cocteau et Claude Farrère. Il savait que ma mère avait consigné quelques souvenirs, mais dans une famille, « il y a un génie mais pas deux ! »
Son père avait tiré de ses aventures dans la Mer Rouge, dans la Corne de l'Afrique des romans et nouvelles. Après la mort de son père, à 95 ans en 1974, elle ose se lancer dans l’écriture. Elle reprend ses notes d’aventures et les compile dans un livre qu’elle fait publier chez France–Empire en 1982. Mes secrets de la Mer Rouge est le récit émerveillé de ses années d'enfance passées avec sa mère à Obock, dans une grande maison blanche, loin de toute modernité. « Elle décrit merveilleusement bien l'émerveillement et les frayeurs que peut avoir une petite fille dans un pays inhospitalier qui est ici la Somalie. De plus elle exalte le courage de sa mère capable de résister à ce pays et à un homme aimant mais peu présent et autoritaire.» Ce fut un gros succès. Elle eut le prix de Prix des Maisons de la Presse en 1982. Elle fut reçue par Bernard Pivot avec Roger Frison-Roche et Paul-Emile Victor.
« Ce petit livre audacieux et d'une lecture agréable à mettre entre toutes les mains ! » est repris par L’école des Loisirs (Medium poche) et avec le titre Tête de paille dans la collection pour enfants « J’aime lire ».
Ce succès appelait une suite. Hélas elle perdit un peu sa mémoire et le second livre De la Mer Rouge à l’Ethiopie n’eut en rien la fraicheur et le succès du premier. Dans ses dernières années, ayant perdu en partie la parole, un jour elle eut la visite de sa sœur Amélie qui la voyant muette lui parla en arabe et elle lui répondit dans cette langue.
François Latham meurt le 26 avril 1999 à Béziers, les obsèques sont assurés par le pasteur Richard Grell, en poste jusqu’au mois de juillet. Gisèle, son épouse, décède, elle, le 8 décembre 1999. Il n'y avait pas de pasteur depuis trois mois, à Béziers le service a été assuré par le pasteur de Narbonne, Etienne Meuret. Elle est enterrée au nouveau cimetière de Leucate, auprès de son mari et à proximité du tombeau d’Henri, avec vue sur la mer.
Marc Latham, Madeleine Souche Notes 1 Son père avait déjà deux fils Lucien né en1990, Marcel, né en 1906 de son union libre avec Lucie Dauvergne.
2 Son nom de plume est Henry.
3 Saint Clément, maison familiale aménagée et agrandie façon « château » par Caroline de Monfreid, la mère de George Daniel, considérée comme le berceau de la famille Monfreid. Á partir de 1904 George Daniel, l’ami de Gauguin, y séjourne souvent et reçoit les artistes roussillonnais et ses amis parisiens Bausil, Maillol, Terrus, Matisse…
4 C’était un des seuls centres d’examen où l’on pouvait passer cet examen avec l’option arabe .
5 Paris Midi, 03/04/1931.
6 Paris Midi 24/3/1931.
7 Dora Maar, pseudonyme d’Henriette Dora Markovitch, née le 22 novembre 1907 à Paris et morte à Paris le 16 juillet 1997 photographe et artiste peintre. Photographie vers 1930.
8 Les Latham sont une famille protestante du Havre. Jeanne Latham née Kullmann, la mère de François, restée veuve après la mort de son mari dans les tranchées en 1915, se remarie avec l’écrivain Jean de la Varende en 1919, mais reste protestante.
9 Georges Henri Rivière, né le 7 juin 1897 à Paris, décédé le 24 mars 1985. Ami d’Armgart de Monfreid qui durant son séjour en Ethiopie avait relevé des langues dans la vallée de l’Omo et avait connu le père Theilard de Chardin qui l’avait introduite au Musée de l’Homme où elle avait rencontré Georges Henri Rivière. En janvier 1936, un département des Arts populaires est créé à la direction des Musées nationaux. Georges Henri Rivière est chargé de l’’organiser.
10 Alexander Semeonovitch Liberman, dit Alex Liberman, né le 4 septembre 1912 à Kiev ( empire russe) et mort le 19 novembre 1999 à Miami (Etats-Unis). Après avoir commencé sa carrière en France, il part à New York. est un artiste pluridisciplinaire et éditeur de presse américain connu surtout pour son rôle majeur au sein des éditions Condé Nast durant trente-deux ans, essentiellement à la direction artistique du magazine Vogue.
11 Le Figaro, 21/ 06/1936.
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