Sardanes |
SARDANES Préambule
Pour notre Site, Daniel Oms a accepté de parler de la sardane, non en théoricien, encore moins en technicien, mais en pratiquant de longue date.
Pour ceux qui seraient plus curieux, nombre de sites sur internet traitent de la question : Portal sardanista ou tout simplement Sardanes.Pour ceux qui aimeraient connaître les paroles, il existe un portail Viasona. Bien entendu ceci suppose de comprendre le catalan... Bref, dit-il, j'ai l'intention d'exposer ici mon ressenti de danseur de base. Mon apprentissage date des années 50. Le Foment de la Sardane se déplaçait au Foyer Rural de Pontellà pour nous initier. J'avoue que le déclic a été assez laborieux pour l'enfant de 12 ans que j'étais : ce fameux temps de ressort qui fait que lorsqu'on pointe la jambe d'appui fait ce 1.2 .3 marqué par le fiscorn de la cobla. (Les plaisantins polis murmurent « Fred de peus, fred de peus », les grossiers personnages « Forat del c. ». Dix ans plus tard,étudiant à Montpellier, je rentre à « l'ALZINA », association des Étudiants Catalans dont le groupe folklorique est mené par le Docteur Pierre Comelade, époux d'Éliane Comelade diététicienne et père de Pascal Comelade, célèbre compositeur. Nous nous produisions en tenue folklorique, mais sans Barretina (ouf!). Pour les hommes, la difficulté était de trouver des bas blancs en coton, ceux en nylon blanc laissant transparaître de disgracieux poils aux jambes...Notre répertoire se composait presque exclusivement de ballets, danses nobles et courtoises avec force courbettes. Dans ce contexte la sardana avait un statut à part : c'était La Danse, j'allais dire sacrée qu'il nous arrivait d'assurer dans les grandes occasions comme le Bal des Catalans (avec La Principal de la Bisbal, s'il vous plaît, sur le parvis de l'ancien Théâtre). Dans nos déplacements à l'étranger (Allemagne, Autriche, Danemark, Italie, Sardaigne, Autriche) nous étions accompagnés par la Cobla Fons-Jordi qui ne partait jamais sans quelques bonbonnes de vin...
Ara, anem al gra : Venons-en au sujet : LA SARDANE PRINCIPES Il s'agit d'une danse collective où les danseurs essaient de faire un cercle parfait et se donnent la main. Un calcul savant permettra à chaque danseur de poser le pied en fin de sardane à l'endroit exact où il a démarré. Selon sa longueur une sardane complète peut durer un vingtaine de minutes. C'est un exercice assez éprouvant, surtout si la cavalière se suspend au cavalier et croyez-moi, ce n'est pas une question de poids : Certaine maigrelettes peuvent être des poids-morts, alors que certaines « ben plantades », bien en chair, peuvent être d'une légèreté étonnante. N'oublions pas que, quoique collective, la sardane se danse en couple. Pour rentrer dans le cercle, en cours d'exécution, il faut « couper » à la gauche du cavalier. Si vous essayez par la droite, vous brisez le couple et on ne vous laissera pas entrer. Pour ne pas se contenter d'exprimer son ressenti, le néophyte que je suis va donner la parole aux théoriciens en traduisant des extraits d'un ouvrage savant datant de 1834 dont l'auteur est Aureli Capmany, EL BALL I LA DANSA POPULAR CATALANA.
La sardane est actuellement la danse préférée de la jeunesse catalane. Un écrivain castillan, Juli Cueto qui avait vécu plusieurs années en Catalogne dans sa jeunesse, a trouvé naguère des mots très justes au sujet de la Sardane :
À première vue, le foraster s'étonnait de la simplicité apparente de cette danse. Pourtant ce n'est pas à la portée du premier venu de pouvoir s'intégrer à la ronde. Si ce n'est que les sardanistes ne permettraient pas cette plaisanterie à l'intrus.
La Sardane a un je ne sais quoi de spécial, d'imperceptible et indéfinissable
Le rythme qui délecte l'oreille et le mouvement que la vue admire imposent le respect. Pour les connaisseurs, danser la sardane, c'est comme prier la Vierge ou bercer un bébé. Aussi, ceux qui n'éprouvent pas ces deux émotions, ne pourront jamais comprendre ce plaisir. Le danseur de sardane ne parle pas, ne chante pas, ne rit pas, ne s'amuse pas : il jouit. C'est le terme qu'il conviendrait d'employer pour définir avec exactitude ce que ressentent les sardanistes." De son côté le Maître (Mestre) Lluis Millet dit : " Écoutez une sardane de Pep Ventura, musicien primitif mais grand poète de la mélodie ; les courts (curts), en première partie de la danse, nous donneront l'ambiance du lieu et l'heure. Ils nous feront la présentation du sujet. Au cours des longs (llargs) vous entendrez le chant individuel, le chant du poète qui pleure et rit amoureusement ; ensuite, comme dernière phrase, vient le chant collectif, la réponse du chœur, le refrain de la chanson, la clameur de la multitude, ample écho au chant du poète." ÉTAPES DE LA SARDANE
La sardane actuelle, nommée Sardane longue, se divise, en tant que danse, en trois parties : la 1° et la 2°, égales en durée mais inégales en exécution.
La 3° différente de l'une et de l'autre, en durée et en exécution, est complètement indépendante des autres.
On peut les appeler : 1° Partie = Introduction 2° Partie = Répartition 3° Partie = Chute ou Fin.
Elles sont précédées, comme nous l'avons dit, d'un « Introït » ou prélude, qui sert à avertir que la sardane va commencer, le tout complèté par ce que l'on appelle « Contrepoints » (contrapunts).
La Cobla commence par jouer la première tirada de courts, répétée, laquelle est suivie par la tirada de longs qui se répète aussi. Fin de la 1°Partie.
Dans la 2°, même chose. Alors la Cobla cesse de jouer et le flabiol exécute le contrepoint. Suit une tirada de longs, à nouveau répétée, précédée du contrepoint, ce qui constitue la 3° partie. La sardane termine par un accord final supplémentaire, joué par la Cobla.
Il faut rappeler aux danseurs que pendant qu'ils marquent les courts, ils doivent garder les bras ballants de façon normale, car le sardaniste à ce moment-là marche plus qu'il ne danse et donc il serait incohérent de faire autrement. De plus, la musique exprime un état de calme, très différent de celui des longs où le son est vraiment émotif. Ainsi le sardaniste montre une sorte d'éveil qui se transmet au spectateur, la danse prenant un caractère différent.
En résumé, la sardane est composée de 4 tirades de courts et 6 de longs, complétées par l'introït et les deux contrepoints.
Tirades qui peuvent comprendre plus ou moins de mesures selon l'humeur du compositeur. Si bien que même si chaque sardane se danse comme une autre, pour le sardaniste chaque sardane est différente, ce qui explique que l'observateur novice s'étonne de ce que les sardanistes désirent prendre part à cette danse en faisant toujours la même chose, alors que c'est le contraire : chaque sardane est pour les danseurs une nouvelle danse. . QUELQUES SARDANES
Je vous propose un choix de sardanes traduites pas mes soins (donc perfectibles).
Avouons-le : Les thèmes ne sont pas très variés, sauf exception : - l'amour, les filles (toujours charmantes),
- la Terre (la Catalogne est un pays très rural, si l'on excepte Barcelone et ses environs dédiés au textile),
- le mal du pays ou l'absence de l'être aimé (l'enyorança - et parfois quelques chants de révolte qui ont eu d'ailleurs l'honneur d'être incluses dans les « Chants de la guerre d'Espagne », côté Républicain, bien sûr). J'ai puisé la plupart des textes dans la revue « Terra Nostra » N°50 de 1984, certainement épuisé, revue qui ne contient pas moins d'une trentaine de sardanes.
Pour commencer le poème (en bilingue) très explicatif et quelque peu grandiloquent de Joan Maragall:
Le poète essaie de plonger à l'origine de cette ronde très méditerranéenne qui serait, d'après lui, une danse des moissons. Son poème analyse la technique de la danse, tout en soulignant l'aspect collectif et presque nationaliste de la sardane . Il faut dire qu'il avait eu à souffrir de la censure franquiste. En contrepoint , si j'ose dire une sardane de La Trinca, triplette de joyeux drilles dans la style des Charlots, qui dépeint l'ambiance d'un village un jour de Festa Major de façon humoristique. Après ces présentations, venons-en à quelques exemples de sardanes.
Il est inévitable de commencer par celle qui peut passer pour un hymne à la terre catalane (un vrai paradis sur terre, même si la femme est cantonnée dans son rôle de mère et femme au foyer) et une affirmation de l'identité catalane :
Pour ce qui est du thème de l'AMOUR , nous avons l'embarras du choix. Ma sélection sera donc arbitraire. A la plaça hi han sardanes/ Sur la place il y a des sardanes
***
Note du traducteur : les diminutifs qui passent si bien en catalan, semblent ridicules dans la traduction. Deuxième difficulté : chardonneret n'a pas de féminin en français...
*** Un autre « Tube » à la gloire de la jeune-fille :
*** Une sardane de plus sur le thème de l'amour du grand poète Joan Maragall
*** Devant la fraîcheur et la beauté des jeunes catalanes, les garçons s'extasient et s'enhardissent. Certains passent leurs soirées à chanter des sérénades sous le balcon des belles, comme dans la sardane qui suit, dont le couplet est nettement épicurien quoique légèrement macabre. *** J'oubliais un thème récurrent: la mer . Ce qui est bien normal puisque la Catalogne est tournée vers la Méditerranée (« Mare Nostrum ») et que sous Jaume I° nos navigateurs ont occupé la Sicile, le port d'Alguer en Sardaigne, et ont laissé des traces jusqu'en Grèce.
***
Cette notion de fraternité, ouverte sur le monde, nous la retrouvons aussi dans La sardana de la Pau.
Une sardane difficile à classifier tant par son texte dépeint une atmosphère très proche du romantisme allemand (ondines, brumes etc...), que par sa musique douce et sereine, c'est Somni de Puiferrer. Il serait dommage de ne pas la citer.
Comme il est bien dit dans le poème « Sardana » de Joan Maragall , cette danse presque sacrée, disons rituelle, allie la technique du cercle parfait à l'émotion qu'éprouve tout danseur.
Il n'y a pas si longtemps, dans la ronde, il y avait toujours un ancien, responsable de la répartition ; on le repérait à sa concentration qui nuisait un peu parfois à sa légèreté. Il annonçait en temps utile « dos », « tres ». Parfois, il suffisait d'une pression des mains qui parcourait instantanément toute la ronde. L'ambiguïté du geste pouvait semer le trouble dans l'esprit des novices non-averti(e)s...
De nos jours, chaque danseur doit être autonome et capable d'assurer le répartition. Tendance actuelle : Viser à la perfection dans la tenue du corps et des bras.
Certains groupes élitistes se refusent à accepter les malotrus qui viendraient perturber leur ronde. La sardane tourne au fitness...
Pour le vieux-jeu que je suis, cette dérive est une aberration : Bonjour la fraternité !
Adieu la « sardana de germanor »qui mettait un point d'orgue à toute série de sardanes.
Heureusement il n'en est pas de même de l'autre côté des Pyrénées. Les vieux, s'ils ne peuvent sautiller, sont admis.
Il y a quelques années, notre chorale recevait un choeur de Barcelona. C'était un dimanche et nous avions voulu leur faire visiter le vieux Perpignan. En débouchant sur la place de la République, surprise ! Une cobla jouait. Nos choristes ne firent ni une ni deux : jetant leurs anoraks et leurs sacs à dos au sol, ils se prirent par la main et se mirent à danser avec enthousiasme et à la dernière note, sans avoir compté, ils lancèrent leurs bras vers l'intérieur. L'important pour eux c'était la joie du partage, le plaisir d'être ensemble.
Une anecdote : dans les années 50 à Ponteilla, j'ai été témoin d'une scène étonnante.
Trois ou quatre vendangeuses (de l'autre côté/ de l'altre banda) après une rude journée de travail, saisies peut-être par le mal du pays (l'enyorança) se prirent par la main dans la rue et se mirent à danser une sardane en en chantant les paroles !!!
À bien y regarder, la sardane, ainsi que sa musique, est une danse qui croît en intensité et verticalité : à la promenade des pas courts succède le sautillement des longs, couronné par les sauts de « l'amunt ». C'est un peu comme un feu timide qui démarrerait jusqu'à flamboyer. En parallèle, danser la sardane c'est éprouver un plaisir croissant : el plaer, el goig (prononcer gotch), une joie intérieure que les jeunes préfèrent extérioriser et c'est leur droit le plus absolu.
Daniel OMS
ANNEXE La Cobla Histoire et évolutions de la Cobla Les origines de la Cobla moderne remontent à une formation médiévale qui recevait le nom de Cobla de Très Quartans. Ce groupement musical catalan, précurseur de la Cobla Sardana, que l'on retrouve au XIV siècle dans de nombreux documents médiévaux, intervenait à l'occasion des cérémonies officielles, jouant le rôle à peu près identique à celui des fanfares municipales d'aujourd'hui. L'appellation de Cobla de Tres Quartans était donnée à cette formation parce qu'elle se composait de trois musiciens qui jouaient quatre instruments:
![]() Quand les musiciens étaient seulement deux, le joueur de flaviol - tambouri et le cornemusier, le groupe recevait le nom de Mitja Cobla.
Ces formations assuraient également de nombreuses fonctions à l'occasion des fêtes populaires : illustrer musicalement la fonction religieuse, animer le bal sur la place et les orchestrer ou faire de l'animation dans les intérieurs.
Au niveau musical la Cobla était relativement bien équilibrée dans le sens où le tambori se chargeait de la partie rythmique et des notes graves, la cornemuse marquait l'harmonie et la mélodie, le flaviol doublait la mélodie en une octave aigüe, et la tarota faisait la seconde voix de la mélodie.
Jusqu'au XIX siècle, ces formations musicales vont évoluer et s'agrandir. Il pouvait s'y intégrer, des violons, des clarins , instruments à vent de la famille des trompettes, mais avec un son plus aigüe, des flutes, des trombones à coulisse et parfois même jusqu'au voix des musiciens. Mais durant cette période, il n'y a jamais eu une formation fixe, ni en nombre de musiciens, ni en nombre d'instruments. Au milieu du XIX siècle, il y a deux facteurs qui déterminent l'évolution de la Cobla, la création de la tenora et du tible, à partir de ce qu'était la tarota et la graille, grâce à André Toron, d'une part, et, à la transformation et à la stabilisation de la Cobla par Pep Ventura, d'autre part. Pep Ventura va restructurer la Cobla en incorporant la contrebasse et en donnant à la tenora le rôle principal et en stabilisant la composition de la formation. Au début du XX siècle, grâce à la consolidation de la sardana, s'affirme la structure de la Cobla et dès lors, ne souffrira d'aucunes modifications jusqu'à nos jours. Une petite parenthèse personnelle : pour moi , la Cobla avec ses divers instruments, est un peu à l'image de notre société : le son criard des tibles serait celui des jeunes qui s'emballent, le fiscorn et la contrebasse, de leur voix grave
essaieraient de les tempérer tout en modérant le rythme, et la Tenora ,instrument roi qui donne le thème et assure les solos (dont la sonorité est proche de celle du haut-bois) représenterait la sérénité, le seny vertu cardinale pour les Catalans . Enfant j'étais fasciné par Max Havart de la cobla des Combo Gili et le sérieux avec lequel il jouait.
Glossaire catalan – Cobla : ensemble des musiciens spécialisés dans les instruments catalans : Flabiol tamborí, fiscorn, tible, tenora , contrabaix (voir ci- dessus).
– Mitja cobla : demi-cobla cobla en formation réduite.
– Ben plantada : idéal féminin : femme bien campée sur ses jambes et bien en chair dont le modèle est la paysanne. D'ailleurs le terme « paysan »n' est pas du tout péjoratif en Catalogne. Nous sommes reconnaissants à ceux qui nous nourrissent.Si vous allez à Lleida (Lérida) vous trouverez la statue d'un couple de pagesos.
– Curts, llargs, repunteig (puntejar) : voir illustrations p. 3-4-5.
– Una tirada : une série, une suite.
– Enyor o enyorança : thème récurrent dans les chansons traditionnelles équivalent de la saudade portugaise : nostalgie, mal du pays, regrets.
(Je vous conseille le superbe « Cant de l'Enyor » que Lluis Llach a écrit à la mort de sa mère et qu'il chante accompagné de Maria del Mar Bonet et Marina Rossell.)
– Festa major : la fête du village.
– La Generalitat de Catalunya : le gouvernement autonome de Catalogne.
– El seny : le bon sens (= el poc seny...)
|